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Note : traduction par David Brunet. Dans la première partie de cette rétrospective sur Trecision, cet éditeur de logiciels tâta le terrain du marché italien des jeux vidéo au début des années 1990 en publiant deux titres pour Amiga, puis en passant au PC. Dans cette deuxième partie de l'histoire de Trecision, nous allons voir comment la décision de se lancer à l'international s'est avérée la bonne, après avoir publié, en tant que partagiciel, leur troisième jeu et en trouvant un accord avec l'éditeur britannique ICE. Pourtant, lorsqu'il fallut travailler avec cet éditeur pour la troisième sortie consécutive, le studio italien se rendit compte que cette relation ne lui apportait pas suffisamment de ressources pour lui permettre de se développer et d'atteindre un marché international plus large. Il était temps de changer. ![]() Alors que leur dernier titre, le jeu d'aventure pointer et cliquer Ark Of Time, enregistra des ventes insatisfaisantes, le scénariste et programmeur Edoardo Gervino raconta que leur projet suivant avec ICE, et son PDG Stewart Bell, ne vit jamais le jour : "Après avoir vu leurs idées pour l'histoire, j'ai compris que la meilleure chose à faire était de nous séparer et de continuer à travailler chacun de notre côté. C'était un récit très simpliste et, franchement, à ce stade, j'ai senti que nous devions nous efforcer de donner au public quelque chose de plus étoffé." Mais le divorce avec l'éditeur anglais ne fut pas aussi indolore que Trecision l'avait espéré : apparemment, ICE avait prévu que la société italienne commence à travailler sur une éventuelle suite d'Alien Virus. "Ils nous ont dit que les fans la réclamaient", indiqua Pietro Montelatici, "nous avons même découvert qu'ICE avait vendu des t-shirts annonçant la suite, ce dont je ne me souviens pas avoir jamais discuté." Interrogeant Stewart Bell, il répondit : "ICE a fourni à Trecision un projet détaillé pour une suite, mais les conditions de création du jeu n'ont pas pu et n'ont pas été acceptées [sic]". À ce jour, toutes les personnes à qui j'ai parlé chez Trecision maintiennent qu'Alien Virus 2 n'a jamais existé, même pas en tant que projet temporaire. ![]() L'équipe de développement de Nightlong en 1996 Finalement, Trecision entra en contact avec l'éditeur anglais Team 17, qui se montra intéressé par la démo qui allait devenir le jeu d'aventure "Nightlong - Union City Conspiracy", aux grandes influences cyberpunks. Du côté de l'éditeur anglais, Martyn Brown garda des contacts avec Trecision, se souvint-il : "Nous connaissions déjà le studio italien et son travail, et nous avions déjà travaillé avec plusieurs éditeurs de logiciels italiens. Nous avons reçu une démo qui a tout de suite suscité notre intérêt. C'était notre première incursion [de Team 17] dans le domaine des aventures graphiques, et je dirais donc que c'était un processus d'apprentissage. Les relations avec Trecision étaient plutôt bonnes dans l'ensemble, je ne me souviens pas de problèmes particuliers." Mais, il y eut un léger incident au salon ECTS 1998 de Londres : Pietro Montelatici se souvint que Stewart Bell se précipita dans le stand de Hasbro, se plaignant que ICE possédait les droits du jeu qu'ils présentaient. "Je suppose qu'il pensait que c'était Alien Virus 2. Le projet original était probablement achevé à 20%, alors l'accord avec Stewart Bell était que nous leur laisserions les redevances du projet abandonné, tandis que nous travaillerions sur un jeu complètement différent" expliqua Edoardo Gervino. Stewart Bell commenta l'incident : "Malheureusement, à notre insu et sans notre accord, ils [Trecision] ont simplement utilisé ce projet [Alien Virus 2], presque dans son intégralité, pour créer le jeu et l'ont "vendu" à Hasbro. Nous avons informé Hasbro à l'ECTS qu'ICE était propriétaire du projet et ils ont retiré le jeu de l'exposition. Hasbro a accepté par la suite qu'il s'agissait du projet d'ICE, car nous en avions bien sûr conservé des copies". Ce qui se passa ensuite n'est pas clair, à l'heure actuelle. Le programmeur Fabrizio Lagorio commenta : "Franchement, je pense qu'il doit y avoir un gros malentendu, car notre projet n'avait rien à voir avec Alien Virus 2 qui, encore une fois, n'existait pas et n'a jamais fait partie de notre accord avec ICE." Pietro Montelatici conclut : "un incident plutôt désagréable, qui a probablement affecté nos relations avec Team 17." Interrogé sur l'incident avec Hasbro, Martyn Brown déclara qu'il ne se souvint d'aucun problème juridique entre Team 17 et ICE. ![]() Publicité pour Nightlong "Je pense que Team 17 avait sous-estimé le potentiel du marché pour Nightlong, qui s'est ensuite très bien vendu ! C'était notre plus grand succès jusqu'alors, c'est sûr", se souvint Fabrizio Lagorio. "Ils ont même fini par nous verser des redevances, ce qui était effectivement une première pour nous". Alors que Pietro Montelatici et lui s'accordèrent à dire que Nightlong était l'aventure pointer et cliquer la plus aboutie de Trecision, Edoardo Gervino sembla nourrir une opinion différente. "C'était un projet basé sur une idée originale d'ICE qui n'était pas très intéressante. La première heure du jeu est encore très basée sur la médiocre histoire de ce projet, puis je pense que le jeu s'améliore incontestablement". ![]() ![]() Nightlong Edoardo Gervino se souvint du moment où Trecision fut contacté pour une improbable conversion Amiga : "Un jour, nous avons reçu un courriel d'un mystérieux groupe de programmeurs allemands [NDLR : serbo-canadiens ?], appelé PXL Computers. Ils nous ont proposé une somme d'argent assez intéressante si nous leur donnions le code source, leur permettant ainsi de porter Nightlong sur cet ordinateur familial de Commodore. Ils sont venus au bureau, ont obtenu ce qu'ils voulaient et nous n'avons plus jamais entendu parler d'eux. Je n'ai aucune idée du nombre de personnes qui, en 2000, étaient intéressées par Nightlong sur Amiga, mais le jeu a reçu de très bonnes critiques dans les magazines." Fabrizio Lagorio se souvint que Trecision développa également une version "en ligne" de Nightlong : "On l'appelait la version NetPub. Le joueur utilisait un seul CD pour installer le jeu [NDLR : le jeu sortit à l'origine sur trois CD] : à l'aide d'une souris et d'un clavier, le joueur interagissait avec le jeu via un serveur qui diffusait ensuite le jeu, via Wi-Fi, avec un flux MPEG4 envoyé vers un assistant personnel numérique sous Windows Mobile. Nous avons également prévu d'autres versions sur PlayStation et Xbox. Voir un jeu d'aventure, et plus tard un jeu de football, tourner à 30 images par seconde sur un assistant personnel numérique qui arrivait à peine à se connecter à Internet était vraiment impressionnant pour l'époque !" Nightlong vit également la collaboration de Dario Pelella, qui avait déjà travaillé avec Trecision en 1995 : "J'ai travaillé sur la conception du mécanisme de jeu et le système de script, tout en contribuant au moteur graphique 3D, ce qui était vraiment ma spécialité. Les gars de Trecision étaient de vrais professionnels et étaient infiniment passionnés par leur travail, tout en étant très humbles et terre à terre. Mais, avec le recul, il n'y avait pas d'organisation de travail standardisée. Je passais ma journée à travailler seul, à modifier les fichiers sources, puis à les implémenter dans le jeu. Périodiquement, nous intégrions le code source manuellement, aucun outil n'était utilisé, bien loin de la façon de développer d'aujourd'hui". Fabrizio Lagorio confirma : "Nous n'avions pas de contrôle de version, j'écrivais le code tout seul, en gros". Dario Pelella créa également un prototype 3D complet, construit à partir des ressources de Nightlong, en utilisant DirectX et les premières cartes graphiques disponibles sur le marché. Ce que l'on appelle le "T3D Engine" fut plus tard utilisé comme base pour le moteur de The Watchmaker, qui fut la dernière aventure graphique publiée par Trecision. ![]() L'équipe de Trecision En 1999, après la publication de Nightlong, Trecision avait l'intention de poursuivre sa collaboration avec Team 17 pour un deuxième projet mais, apparemment, les choses n'avancèrent pas. Leur projet, The Watchmaker, fut conçu à l'origine pour être entièrement en 3D, car la technologie était mûre et les graphismes en 2D, à cette époque, étaient définitivement démodés. Martyn Brown mentionna que le titre était un peu trop ambitieux et que, finalement, ils se retirèrent du projet. "Team 17 ne semblait pas vraiment d'accord avec l'idée de sortir des jeux d'aventure, ils préféraient sans aucun doute les titres d'arcade", commenta Pietro Montelatici. Ainsi, le studio de développement italien se retrouva, une fois de plus, sans éditeur. Pendant qu'il cherchait un éditeur, le développement se poursuivait lentement, surtout en ce qui concernait le style général : l'équipe avait besoin d'une nouvelle idée fraîche. "Nous avons même essayé d'utiliser la capture de mouvement, mais la technologie était encore relativement jeune, ce n'était pas possible", se remémora Pietro Montelatici. Entre 1999 et 2000, deux nouveaux développeurs rejoignirent Trecision et firent tous deux une carrière importante dans l'industrie du jeu vidéo : Christian Cantamessa et Tiziano Sardone. Fabio Corica, qui avait rejoint Trecision plus tard (sans Angelo Bordieri), souffla le nom de Christian Cantamessa à Pietro Montelatici, tandis que Tiziano Sardone rencontra Fabrizio Lagorio par le biais d'un forum Internet et fut recruté et transféré de Varese à Rapallo, en Ligurie. ![]() Réunion de travail chez Trecision De cette période passée à Trecision, Christian Cantamessa garda de très bons souvenirs, notamment celui d'avoir partagé l'espace de travail avec Tiziano Sardone, Fabio Corica et Marco Castrucci : "C'était presque comme si nous étions de retour au lycée !" commenta Fabio Corica, "nous avions des habitudes alimentaires si terribles que nous arrivions à ne dépenser qu'un euro pour plusieurs jours de nourriture". Christian Cantamessa poursuivit : "à un moment donné, nous avions fait frire tellement de nourriture diverse que la porte de notre salle de bain semblait avoir été trempée dans l'huile. Ça sentait terriblement mauvais pendant des jours !". Tiziano Sardone partagea également l'affection de ces souvenirs, affirmant que c'était un moment unique dans sa carrière : "Nous nous sommes tous réunis dans mon appartement, qui se trouvait au premier étage du bâtiment où se trouvaient les bureaux de Trecision. C'était le bazar, mais c'était une époque amusante : nous étions tous si passionnés !". Seuls Fabrizio Lagorio, Marco Castrucci et Tiziano Sardone ont travaillé sur le code de The Watchmaker. Fin 1999, alors que le travail sur The Watchmaker n'était toujours pas terminé, Trecision traversa, économiquement parlant, une période difficile. Pietro Montelatici se rappela avoir essayé d'attirer l'attention de divers éditeurs, mais rien ne semblait se concrétiser. Après avoir été avertis par Edoardo Gervino que les choses allaient se gâter, Christian Cantamessa et Tiziano Sardone décidèrent de faire leurs valises et trouvèrent du travail chez Ubi Soft assez rapidement. Christian Cantamessa ne joua jamais à The Watchmaker : "Je ne joue jamais à aucun des jeux sur lesquels j'ai travaillé. Je pense que j'aurais fait trop de choses différemment. Au final, ce qui compte, ce n'est pas le produit fini, mais les relations avec les gens et la façon dont je me suis amélioré en travaillant." Tiziano Sardone commenta : "C'était triste de quitter un projet inachevé sur lequel nous avons travaillé pendant si longtemps, mais je sentais que des choses passionnantes se passaient dans l'industrie et je pensais que c'était le bon moment pour partir. Personne à Trecision ne s'est opposé à ma décision, ils m'ont même soutenu." ![]() L'équipe de développement de The Watchmaker Juste avant la conclusion de l'opération d'investissement de Trecision, Gervasio décida que son heure était venue. "Je n'aimais pas l'idée qu'un fonds d'investissement nous donne des ordres, et je sentais aussi qu'il était temps pour moi de commencer à faire autre chose. J'étais un programmeur de la vieille école et, en 2000, je sentais que je ne pouvais pas apporter grand-chose. Six ans plus tard, j'avais enfin compris ce qui était arrivé à Gabriele Pompeo : j'en avais assez de travailler si dur pour rester à flot, de vivre constamment sur le fil du rasoir, après des années dans le secteur. Malgré mes intentions très fermes, Pietro Montelatici me demanda de rester, et je continuai donc pendant quelques années à collaborer en externe avec Trecision". Dévoilé pour la première fois en avril 2001, lors de l'Italian Lan Party à Florence, puis sorti en juin 2001, The Watchmaker connut une sortie européenne partielle (au Royaume-Uni, en Pologne et en Russie), ainsi qu'une distribution américaine par Got Game Entertainment. Il fut accueilli par des critiques plutôt justes, plusieurs d'entre elles louant les graphismes et la bande-son robuste, tout en mentionnant l'abondance de la chasse aux pixels et la médiocrité du jeu vocal. Fabrizio Lagorio indiqua que l'équipe développa également une version particulière "Push And Play" du jeu : "Le joueur ne téléchargeait que l'exécutable, tandis que les graphismes et les sons étaient diffusés à la demande depuis un serveur crypté, afin d'économiser la bande passante qui, à l'époque, était particulièrement lente. Il s'agissait, en effet, d'une version en ligne du jeu entièrement fonctionnelle." ![]() Italian Lan Party à Florence (2001)
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Dans le troisième et dernier chapitre de l'histoire de Trecision, nous verrons comment, grâce à un financement
généreux et après avoir laissé derrière eux le genre qu'ils avaient développé pendant si longtemps, cette
société de développement deviendra la plus grande d'Italie. En fusionnant avec d'autres studios, Trecision
signera d'importants accords d'édition internationaux, tout en travaillant sur des projets uniques. Mais,
malheureusement, ce sera aussi la fin rapide et prématurée de leur histoire, en 2003.Sources et références
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