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Note : traduction par David Brunet. Depuis ses humbles débuts dans la propre maison de Francesco Carlà, décrits dans la première partie, Simulmondo réussit à fusionner le talent et les affaires pour créer une entreprise prospère qui dépassa presque la taille d'une société telle qu'Electronic Arts à l'époque. À partir de 1992, en raison de l'obstination du PDG à poursuivre le marché de la vente "en consignation", l'entreprise sembla s'enfermer dans un carcan en concentrant toutes ses ressources sur l'activité de vente de séries via les kiosques à journaux. ![]() 1993 : les séries prennent le pouvoir En l'espace de deux ans, entre 1993 et 1994, l'éditeur italien réussit à sortir treize épisodes de Tex Willer, douze de Diabolik et dix-sept de Dylan Dog. Comme chaque titre devait être compatible à la fois PC et Amiga, les programmeurs et les testeurs durent travailler deux fois plus. Afin de respecter au mieux le calendrier, la créativité et la volonté d'expérimenter, qui firent de Simulmondo une entreprise si appréciée, s'évanouirent dans la nature. Le directeur de la production, Ivan Venturi, parla de "passer de la conception de jeux créatifs au travail à la chaîne". Le programmeur Ciro Bertinelli se souvint en particulier d'un bogue très grave dans l'épisode 5 de Dylan Dog, qui empêchait les joueurs de le terminer et les obligeait à mentir aux clients qui téléphonaient. Ils devaient dire aux clients "le jeu ne peut pas être terminé parce qu'il est trop difficile, nous vous enverrons la version plus facile". Par "plus facile", ils entendaient bien sûr la version rectifiée avec le bogue corrigé : jamais Simulmondo n'était descendu aussi bas dans sa relation client. Introduction et début d'une partie de Diabolik Chacun a son propre point de vue, le graphiste et programmeur Riccardo Cangini dit que la fermeture de la division "sports" fut une erreur fatale, tandis qu'Ivan Venturi se demanda pourquoi Simulmondo n'essaya jamais vraiment de sortir ses jeux en dehors de l'Italie (même si dans une publicité sur MC Microcomputer, il était dit que Simulmondo publiait "partout dans le monde, y compris au Japon"). ![]() Ciro Bertinelli se remémora qu'il avait l'habitude de parler à ses amis et de montrer les jeux sur lesquels il travaillait, mais qu'en 1993, il commença à cacher son implication parce que le public en avait assez de voir à quel point tout se ressemblait. Riccardo Cangini se souvint également que les relations au sein du bureau étaient devenues tendues, les responsables de la production étant obligés de passer les gens à la moulinette à plusieurs reprises. Mais ce n'est pas tout. ![]() Simulmondo s'amusant dans les collines de Bologne en 1992 Ciro Bertinelli poursuivit en disant que, à cette époque, la société n'investissait plus dans la recherche et le développement. Toutes ses ressources économiques et humaines étaient concentrées sur les séries, un choix qui finit par se retourner glorieusement contre elle. Sur un autre point, la plupart des anciens développeurs de Simulmondo semblaient d'accord : le PDG Francesco Carlà était un grand homme d'affaires aux idées avant-gardistes, mais il ne fut jamais très doué pour la gestion des ressources humaines. ![]() Simulman Gianluca Gaiba poursuivit : "Je pense qu'en 1993, nous devions travailler sur de nouvelles technologies, sur la 3D, nous n'étions pas censés être coincés à faire Diabolik et Dylan Dog encore et encore." Ciro Bertinelli renchérit : "Pendant que le monde découvrait Doom, nous essayions désespérément de joindre les deux bouts". Federico Croci, spécialiste des relations publiques et testeur, mentionna toutefois que peu de ces problèmes se répercutèrent dans les bureaux de l'administration, où la vie se déroulait sans encombre. Il quitta l'entreprise plus tard, mais, me dit-il, en restant en bons termes avec la direction : il venait de recevoir une meilleure offre de travail dans le monde des jeux d'arcade. ![]() Capture d'écran de Dylan Dog épisode 8 Les séries connurent apparemment un tel succès que la société n'eut pas d'autre choix que de s'y accrocher. Chaque homme d'affaires décide de ce qu'il veut faire de son argent et de son entreprise : investir dans l'avenir ou, peut-être, se contenter d'engranger de l'argent chaque mois. L'éditeur de logiciels italien renonça-t-il alors à trouver un nouveau marché ? Riccardo Cangini se souvint que s'il est vrai que Simulmondo était toujours en croissance en 1993, les chiffres n'étaient pas vraiment impressionnants pour justifier l'entêtement de Francesco Carlà sur ce segment de marché. "Naturellement, cette activité via les kiosques à journaux ne pourrait jamais être reproduite ailleurs dans le monde, c'était typiquement italien", estima Ivan Venturi. En Belgique, nous étions habitués à acheter des jeux de cette manière, notamment en raison du marché gangréné par le piratage, mais il n'y avait pas beaucoup d'autres pays européens où ce type d'activité pouvait être exporté avec succès. En avril 1993, l'équipe réussit miraculeusement à sortir 38 épisodes en deux mois : un objectif presque impossible à atteindre, qu'ils n'atteignirent qu'en travaillant 12 heures par jour, chaque jour de la semaine. Là encore, les heures supplémentaires ne furent pas payées. Le mécontentement régna au sein de l'équipe. Cette bataille, spécifiquement demandée par Francesco Carlà à l'équipe, fut gagnée, au prix de la perte de la guerre. Simulman épisode 1 ![]() Tex Dès qu'Ivan Venturi vit les visages de ses collègues et amis, il sut que ses jours à Simulmondo étaient également comptés. Dans un premier temps, Francesco Carlà lui-même prit mal la nouvelle, tandis que tous les autres eurent du mal à y croire. Ils pensaient qu'Ivan Venturi coulerait avec le navire, comme on dit. Il était là depuis le premier jour et donna tout pour que Simulmondo reste le premier éditeur de logiciels italien. "Depuis l'âge de 15 ans, je travaillais avec des échéances constantes au-dessus de ma tête, j'ai grandi avec le stress constant de l'échec. Je connaissais parfaitement ce sentiment d'amertume au creux de l'estomac : la peur de ne pas réussir. C'était fini". Ce n'était plus sa société. Trois mois plus tard, il était parti. Michele Sanguinetti conclut : "Francesco Carlà aurait dû accorder plus d'attention à ses ressources humaines, au lieu de se concentrer uniquement sur les ventes. Il aurait dû investir dans une équipe formidable". "Ce qui me met le plus en colère", dit Ivan Venturi en serrant les lèvres, "c'est que la plupart des personnes impliquées avaient de grands talents qui auraient bien servi l'industrie italienne du jeu vidéo. Au lieu de les utiliser, on les a laissées partir et la plupart d'entre elles n'ont plus jamais touché à un jeu." Francesco Carlà fut condamné des années plus tard - en février 1996 - par le tribunal de Bologne pour avoir violé les obligations liées à la relation de travail et condamné à verser une somme pour les heures supplémentaires non payées à Ivan Venturi et Michele Sanguinetti. ![]() L'équipe montrant fièrement les jeux des séries Après le départ d'Ivan Venturi et de nombreux autres développeurs, la majeure partie du développement des produits de la société fut confiée à Riccardo Cangini. Fin 1993, il continua à travailler sur ce que certains considèrent comme le tout dernier "vrai" titre Simulmondo, Time Runners, également une série épisodique, conçue comme un mélange de plates-formes et d'aventure. ![]() Time Runners Du moins selon le PDG, mais Riccardo Cangini me dit que ce fut probablement moins que cela et, encore une fois, il s'agissait d'un chiffre générique qui n'incluait pas tous les retours et les invendus. Simulmondo, malgré la saturation du marché, réussit à produire les 30 épisodes prévus de Time Runners, ce à quoi le programmeur se souvint d'avoir objecté parce qu'ils semblaient vraiment trop nombreux. En septembre 1993, Francesco Carlà annonça une baisse drastique du prix de toutes les aventures Simulmondo, tout en essayant de détendre l'atmosphère des joueurs en annonçant des nouveautés aussi excitantes "qu'un écran de chargement/sauvegarde comme celui d'Alone In The Dark" et "un son PC Speaker très demandé" (MC Microcomputer n°132). Time Runners Comme ils avaient déjà fait des miracles plus tôt en 1993, sans équipe de base, cela n'allait pas se répéter : la série Spiderman ne dura que trois épisodes. Dans le numéro de septembre 1993 de MC Microcomputer, Francesco Carlà écrivit que Simulmondo développait également des séries sur les X-Men et Wolverine, mais celles-ci ne se concrétisèrent apparemment jamais. La série Martin Mystère - précédemment annoncée comme un "accord fermé" (numéro 130 de MC Microcomputer) - qui, selon Riccardo Cangini, n'était même pas considérée comme une activité viable par les éditeurs, connut un sort encore plus funeste. À la fin de l'année 1993, Simulmondo avait perdu tout son poids : le marché avait changé, les jeux pour PC devinrent plus complexes et la société n'arrivait pas à suivre la technologie. Simulmondo fut étranglée par la saturation du marché de niche qu'il avait contribué à créer. Malgré l'implication continue de Francesco Carlà dans le magazine, les mentions de son entreprise dans MC Microcomputer devinrent beaucoup plus sporadiques après 1993. La dernière mention sembla avoir été faite dans le numéro de décembre 1994 du magazine, où il annonça que "Simulmondo Soccer sortira dans quelques mois, nous y travaillons depuis 18 mois". Il s'agissait probablement d'une référence à Soccer Champ, qui sortit en fait près de quatre ans plus tard. Spiderman épisode 1 Juste après 1993, Francesco Carlà décida de changer la dénomination sociale de Simulmondo en "Multi Srl", pour des raisons probablement liées au départ de la plupart des employés. Massimiliano Calamai, graphiste, qui quitta l'entreprise en 1994, commenta l'état des choses à l'époque : "ce qui m'a le plus frappé, surtout lorsque j'ai créé plus tard ma propre maison de logiciels (NDLR : Light Shock software), c'est l'organisation de Simulmondo. C'était une énorme entreprise qui pouvait compter sur tellement de personnes qu'elle aurait pu facilement devenir le plus grand éditeur de logiciels au monde ! Elle était même plus grande qu'Electronic Arts en 1993 ! Cela m'a attristé de voir tout cela perdu et dispersé aux quatre vents, vraiment, quelle honte". Entre 1994 et 1995, alors que les consoles Sony et Nintendo grignotaient peu à peu les parts de marché de l'Amiga et du PC, la société semblait bloquée dans les limbes. Francesco Carlà ne semblait pas avoir vraiment saisi le potentiel de ce nouveau segment de marché, même si, rappela Cangini, il ne s'opposa jamais à l'idée de développer des titres pour Sony et Nintendo. Federico Croci se souvint que lorsque le patron de Simulmondo se vit proposer par l'éditeur C.T.O. de recevoir la coûteuse trousse de développement pour la PlayStation, il finit par décliner l'offre car, apparemment, il se rendit compte que le développement pour cette nouvelle console était un pari que l'entreprise ne pouvait pas se permettre de prendre. Pourtant, dans une récente entrevue de 2015, Francesco Carlà déclara qu'il ne voulait pas créer de jeux pour consoles parce que "je n'aime pas l'idée de travailler sous l'approbation d'autres personnes". À ce moment-là, il sembla que Simulmondo ait accepté de travailler sur les projets qu'il avait au moins une petite chance de mener à bien : comme un jeu de plates-formes lié aux bonbons FruitJoy (également connus sous le nom de Rowntree's Fruit Pastilles). Mister Fruit-Joy était un projet que, pour une raison ou une autre, Francesco Carlà mentionne encore aujourd'hui sur Facebook, en le qualifiant de "premier jeu vidéo lié à un produit", ce qui laisse perplexe quand on se remémore Cool Spot de 7-up (1992) ou de jeux encore plus anciens comme Ford Simulator (1987). Simulmondo développa également des jeux pour un programme télévisé pour enfants de la société nationale italienne de radiodiffusion publique. ![]() ![]() ![]() Mister Fruit-Joy Ainsi, le jeu Mosè Il Profeta della Libertà (Moïse : le prophète de la liberté) sortit en 1996 et fut conçu comme un mélange de ludo-éducatif et de jeu d'aventure pointer et cliquer, avec apparemment près de 70 heures de jeu (toujours selon le PDG), doté d'un doublage italien complet et d'une bande sonore interprétée par un orchestre classique. En lisant les souvenirs enthousiastes du journaliste sur ce projet, on avait presque l'impression qu'il s'agissait d'une version interactive d'un film colossal : une idée tout à fait appropriée à sa juxtaposition originale de Simulmondo avec les débuts du cinéma italien. Mais Riccardo Cangini nous ramena rapidement sur Terre : "La programmation a été effectuée par Alberto Palladini, j'étais l'une des rares personnes sur le projet et j'ai fait ce que j'ai pu avec le style pour le faire fonctionner. Bien sûr, le jeu avait du potentiel, mais il a été développé avec un budget serré et avec le logiciel Toolbook, que je ne supportais pas. Mosè n'arrivait vraiment pas à la cheville des produits pointer et cliquer sérieux. Le rendu de la scène avec la séparation en deux de la Mer Rouge m'a pris douze heures à lui tout seul". En fait, il s'agissait d'un logiciel ludo-éducatif ordinaire, avec des graphismes en 3D modérément attrayants, mais tout de même un produit destiné aux jeunes enfants qui faisait pâle figure à côté d'un jeu développé pour une licence importante comme Millemiglia. Il illustra la stratégie de Simulmondo au milieu des années 1990 : s'éloigner lentement des jeux vidéo pour se tourner vers une sorte de "produit multimédia" à petit budget qui n'avait pas grand-chose à voir avec ce que la société avait sorti jusqu'à l'année précédente. ![]() Moses: The Prophet Of Freedom Pendant le reste des années 1990, Simulmondo ne cessa de se rétrécir, se transformant en un souvenir encore plus lointain de ce qu'elle fut par le passé. Riccardo Cangini finit par quitter l'entreprise en 1996 pour créer sa propre société, Artematica. À ce moment-là, dit-il, il n'y avait plus d'intérêt à rester puisque la société ne travaillait plus sur des jeux, et avec la naissance de son fils, il souhaitait quitter Bologne et retourner dans sa région natale, la Ligurie. Pourtant, conclut-il, il n'y eut jamais de grandes querelles avec Francesco Carlà, et même à la fin, il partit à l'amiable. Soccer Champ fut le dernier jeu que la société réussit à sortir, en 1998, après des mois de travail et de discussions épuisantes. Présenté comme un "jeu de rôle-action-stratégie-football", il s'agissait d'un retour à l'idée de "I Play 3D Soccer", qui n'eut pas beaucoup de succès. Il obtint un score de 71% dans le magazine The Games Machine, ce qui - à l'époque - n'était pas vraiment un bon signe, puis il disparut dans la nature. Je n'ai pas réussi à trouver une seule capture d'écran pour l'article. En 2000, Simulmondo cessa d'exister, Francesco Carlà partit et la société implosa. Stefano Realdini, l'un des rares survivants de l'époque, se remémora sobrement les dernières années de l'entreprise : "Tant de gens, tant de passion, un morceau d'histoire dans le monde des jeux vidéo italiens, sont morts dans un silence total." ![]() Soccer Champ Les erreurs de gestion, l'âge relativement jeune de chacun et un marché en pleine mutation furent autant de facteurs importants à prendre en compte dans l'histoire de cet éditeur de logiciels et de l'industrie italienne du jeu vidéo. Malgré les bonnes intentions et les idées brillantes de Francesco Carlà, il semblait être tombé amoureux de l'idée d'apporter des histoires de bandes dessinées par le biais de jeux d'aventure bon marché produits rapidement qui, bien que logiques d'un point de vue commercial, n'étaient pas viables à long terme. Cette même idée finit par aliéner de nombreux talents de la société. Au lieu d'écouter les personnes qui s'étaient montrées dignes de confiance, comme Ivan Venturi et Riccardo Cangini, il décida de rester sur ses positions, faisant lentement s'effondrer la société autour de lui. L'entreprise qui, à elle seule, donna le coup d'envoi de l'industrie italienne du jeu vidéo, finit par lui porter un coup fatal, dont l'industrie mit des années à se remettre. Une histoire qui, malheureusement, sembla aller de pair avec celle d'Olivetti, une autre occasion manquée pour l'Italie d'être à l'avant-garde de la technologie informatique. Simulmondo était le plus grand rêve de Francesco Carlà et d'Ivan Venturi : il aurait dû devenir "le mot" synonyme de jeux vidéo dans le pays, le nouveau visage du divertissement italien. Au lieu de cela, il ne devint qu'une note de bas de page dans la tapisserie mondiale de l'histoire des jeux vidéo. Il y a cependant une lueur d'espoir. De nombreux anciens employés de l'entreprise réussirent à rencontrer un plus grand succès dans d'autres entreprises, d'Artematica à IV Productions, la société d'Ivan Venturi, en passant par Light Shock Software et Trecision. Malgré une fin lente et triste, Simulmondo prouva qu'il était possible de créer des jeux vidéo et d'en tirer profit. Même en Italie. Les fils de Simulmondo Ivan Venturi travaille toujours dans le domaine des jeux vidéo avec sa propre société IV Productions et dans Italian Games Factory. Son livre autobiographique, Life Of Videogames: 8-bit memories, a été récemment traduit en anglais et accompagne parfaitement cet article. Riccardo Cangini a connu le succès avec sa propre société de logiciels, Artematica. Il réside actuellement à Malte, où il travaille sur les jeux vidéo, l'AR/VR, le suivi du corps et les expériences interactives. Federico Croci est le directeur de Spazio Tilt, le musée des flippers de Bologne. Ciro Bertinelli, Gianluca Gaiba et Michele Sanguinetti n'ont plus jamais travaillé sur un jeu vidéo. Francesco Carlà a également quitté le monde du jeu mais, ne se reposant jamais sur ses lauriers, il a déclaré son intention d'apporter les mêmes idéaux que Simulmondo dans le monde de la finance qu'il appelle "jeu vidéo pour adultes". En 2021, il semble toujours essayer de fusionner le bon vieux temps avec ses idées commerciales modernes, sur la page Facebook de Simulmondo. Sources et références
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