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Entrevue de Frédéric "El Yeti" Autechaud, ancien rédacteur d'ANews J'ai rencontré le mystérieux Yeti. Je suis allé au fin fond du Tibet, il a ouvert les portes de son antre (un appart à Bordeaux) et s'est laissé questionner devant un café. Je croise Fred depuis une trentaine d'années dans le bordelais. Au fil des années, je mesure un parcours marqué tout autant par ses talents de graphiste que ses talents de pigiste, avec ou sans compromis, jalonné de rencontres mythiques. Cet animal discret méritait une bonne entrevue. ![]() ![]() Je suis un "early genX" de '67, de ceux qui sont devenus majeurs et bacheliers en 1985, et je vais vers mes 57 tours du soleil. Mes racines familiales sont auvergnates et corréziennes mais je suis bordelais depuis 1973 (avec quelques tentatives d'évasion ratées vers Poitiers, Paris et Montréal). Les hasards de la génétique font que je suis également albinos et donc passablement bigleux. ![]() Mon père m'a encouragé à dessiner à partir de mes 4 ans pour forcer mes yeux à focaliser sur un point précis. Ça a plutôt bien fonctionné. C'est la cuisine des couleurs qui m'a toujours échappé. Aussi, quand j'ai vu les premières palettes graphiques apparaître, l'idée de colorer et de peindre sans avoir à touiller de la barbouille m'a intéressé. J'ai vu une démo d'un clavier de composition de pages Télétexte (alphamosaïque du Minitel) à la foire de Bordeaux en 1980 et j'en ai rêvé jusqu'à ce que mes parents achètent un VIC-20. J'ai passé des jours et des nuits à tenter d'en faire un usage potable, en vain. Après, ça a été la course à la puissance dans la limite de mes moyens (sans passer par la case Apple, Atari ou DAI). ![]() Le VIC-20 du Yeti ![]() C'est un copain en première année de Beaux-Arts à Bordeaux qui m'a surnommé le "yet'", probablement à cause d'une pilosité hors de contrôle et de manières d'artiste mal dégrossies. C'est resté. J'ai acheté mon premier Amiga courant automne 1986 sans trop avoir cerné les limites de l'A1000 en termes de genlocks disponibles en Europe. Mes copains hors Beaux-Arts étaient en faculté d'informatique et nous sommes tous passés au A500 dès qu'il a été disponible. La connexion s'est faite entre ce petit gang et un autre étudiant, Laurent Fabre alias Tropic, qui avait déjà écrit quelques articles pour A(miga)News. Il habitait dans la même résidence que le directeur de la publication. On est juste passé chez lui un après-midi et, dans l'enthousiasme, on a proposé des "piger" pour la gloire. L'idée d'utiliser des pseudos rigolos était une façon de donner un côté "bande de potes" à de l'information parfois un peu pointue. J'ai ressorti le Yéti avec un "El" devant, sauce Tex-Mex. Mes compères signaient Chorizokid, Toto Luène, Kéké Rosen comme sur leurs comptes Usenet. ![]() Quelques Amiga News de l'année 1990 ![]() Image du Yeti réalisée avec Sculpt 4D par Frédéric Boullier alias "Ze DaHu" pour la couverture d'Amiga News de décembre 1990 ![]() J'espère qu'il écrira ses mémoires. C'est un baroudeur dans l'âme, intéressé par tout ce qui passe sous son nez. Il a le flegme de faire les choses sans se fixer des objectifs inatteignables. Le couloir de son appartement était décoré de bouteilles vides. C'est peut-être le secret : savoir boire pour s'assurer que rien n'est grave. En voyage de presse, on dormait des fois à six ou sept dans sa piaule. ![]() Article écrit par El Yeti sur le logiciel Disney Animation Studio ![]() CIS était le fruit de la rencontre heureuse de Bruno Lesté, étudiant en informatique et gérant de la coopérative de la faculté d'informatique de Bordeaux et de Franck Lafage, génie précoce du commerce. La société fondée par cinq puis quatre associés m'a proposé d'être leur premier salarié non-actionnaire. Je survivais en faisant des piges d'infographie pour France 3 Aquitaine. Je les ai rejoints pour faire tout ce que nécessitait l'importation de produits Amiga des États-Unis : remballage, documentation, veille... en parallèle avec mes élucubrations pour A(miga)News. L'éthique y a beaucoup perdu mais tout le monde était content. Notre budget publicitaire payait le journal. L'équipe s'est étoffée et la gamme de ce que nous proposions aussi : GVP, NewTek, ScanLock, Gold Disk, Scala, etc. ![]() Du matériel et des logiciels Amiga distribués par CIS ![]() La bande qui écrivait dans A(miga)News avait eu l'idée de convertir leur projet de maîtrise d'informatique en simulateur de billard français. Une fois mis en forme, le prototype du jeu a été présenté chez ERE Informatique et "signé" par Philippe Ulrich, peu avant d'être repris par Infogrames. Philippe avait des envies d'indépendance et, avant d'aller jusqu'à monter Cryo, nous avait octroyé un budget pour installer un petit studio à Mérignac, le temps de finir notre simulateur. ![]() Billiards Simulator, simulateur de billard français pour Amiga, Atari et PC (ERE International) ![]() La version C64 de L'Arche Du Captain Blood ![]() L'idée d'un "canard enchaîné informatique" me grattouillait depuis longtemps. J'en avais discuté avec plusieurs personnes dont Francis Poulain, ex-Commodore France reconverti chez Posse Press. On savait que le Virus Informatique se préparait. En 1996, le marché français de l'Amiga s'est calmé en très peu de temps et CIS ou je bossais depuis... 7 ans ?... a dû réduire la voilure. J'en suis parti avec un contrat de prestation de services qui me permettait de monter mon agence... et de faire ce journal. Mon associé a préféré, à juste titre, lancer un magazine sur la PlayStation et j'ai donc fait mon canard avec le soutien de quelques bons potes, sans moyens. Il est sorti sans publicité, en période de grève de messageries, puis en période de grève des routiers... J'en imprimais 30 000 et j'en vendais 4. Au quatrième numéro, j'ai jeté l'éponge. ![]() J'ai envoyé quelques invendus de mon canard mort aux "grandes rédactions" de la presse informatique comme un faire-part de décès de ce gros coup d'égo si malmené. Mathieu Villiers, alors rédacteur en chef de Science et Vie Micro m'a convié à venir discuter. J'ai rejoint ce monument de presse alors qu'il fêtait ses 15 ans et allait passer aux mains d'un groupe néerlandais. J'y ai passé un peu moins de deux années délirantes en 1998-1999, au sein d'une rédaction brillante épaulée par un laboratoire de test unique en son genre (il testait aussi pour la FNAC). Le rythme était intense et le sérieux des enjeux faisait que mes couillonnades ne faisaient rire que les secrétaires de rédaction avant d'être remises au calibre du journal. ![]() SVM ![]() L'approche marché était géniale : du jeu Java embarqué et "animé" par de la data SMS. J'y suis rentré parce que je trouvais les écrans de leurs jeux trop moches. La contrainte était énorme : des écrans en 1 bit. On avait des anciens et des jeunots de la scène démo. J'ai ressorti tout ce que je savais faire, de l'isométrique façon Spectrum, de la texture et des ruses de crénelage pour faire des véhicules reconnaissables en 40x60. Peu de choses sont sorties commercialement - les opérateurs GSM se méfiaient de jeux trop fouillés - mais le gang de développement est resté soudé comme un bataillon après la guerre. ![]() Jeux sur téléphone Nokia ![]() De 18 à 28 ans, à cause de cette insouciance qui permet de faire trois trucs en parallèle sans se demander à quoi ça rime. ![]() Revoyons le lancement avec Andy Warhol. Regardons les "reels" de NewTek. On nous sort Steve Jobs et son Mac mais la couleur et le son sortait des A500 et des Atari ST. Cette époque voulait permettre à tous de faire, de produire, de dire sans se prendre le chou avec des notions de qualité excessives. On peut faire des choses géniales en 320x256. NewTek Demo Reel 3 - 1989 ![]() J'ai un peu décroché après les très nombreuses annonces de relance. Je comprends ceux qui persistent parce que cette communauté a une valeur technique importante qui correspond pour moi à l'ultime évolution du modèle cohérent entre le matériel et le logiciel : un couple matériel/système stable qui engendre une richesse logicielle croissante. ![]() Pas pour le matériel. J'ai gardé ma première machine et plein de bons souvenirs. Par contre, comment ne pas être nostalgique de l'époque où les évolutions étaient si rapides, nombreuses, importantes, qu'elles poussaient la créativité dans tous les domaines. ![]() Bon point. Ce que l'IA permet pour la bidouille d'image est plus qu'enthousiasmant. À titre personnel, je suis à la fois dans Adobe sur PC par habitude (Illustrator, InDesign) mais aussi sur iPad pour garder les bonnes habitudes consistant à varier les outils. ![]() Je suis nourri et ravitaillé par la science-fiction et les cartoonistes américains. Mes préférés sont Iain Banks et William Gibson. Au crobard, Berkeley Breathed, Gary Larson. En créa visuelle, je suis coincé dans les années 1970 avec Saul Bass, Paul Rand. En musique, Röyksopp, Porcupine Tree et tellement, tellement d'autres. ![]() Affiche du film Vertigo par Saul Bass ![]() J'écris sans publier. Je dessine sans imprimer. Si ça continue, je vais faire artiste maudit au fond d'une grotte, entouré de fétiches en bois sculptés avec les dents. Mon projet est de passer le flambeau à la génération suivante en y prenant le plus de panard possible. ![]()
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