Obligement - L'Amiga au maximum

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Point de vue : La France veut la mort des jeux vidéo
(Article écrit par Michel Desangles et extrait de Joystick - septembre 1993)


Ça y est, une loi sur les jeux vidéo et l'épilepsie a été votée en France : "arrêté du 21 juillet 1993 ordonnant l'opposition de mises en garde sur l'emballage et la notice d'emploi des jeux vidéo ainsi que dans les établissements mettant des jeux vidéo à la disposition du public". Faisons le point sur la question.

L'épilepsie, qu'est-ce que c'est ?

L'épilepsie, c'est la décharge synchrone d'un grand nombre de neurones. Certains l'ont comparée à un orage magnétique dans le cerveau : normalement, les neurones devraient réagir en chaîne, dans un ordre tout à fait défini, sans surprise ; mais les épileptiques subissent parfois des crises où une énorme quantité de neurones réagissent en même temps, sans raison apparente. Imaginez que vous lisiez tranquillement un livre. Tout d'un coup, en une seconde, au lieu de lire un mot puis l'autre, cent mille mots vous sautent au visage. C'est un peu ça, en plus grave bien sûr puisque les neurones qui réagissent peuvent faire partie de systèmes de régulation du corps.

C'est pourquoi, en crise, les épileptiques ont des soubresauts nerveux parfois violents, des mouvements incontrôlés. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent provoquer ces crises. Il faut noter que l'alcoolisme les favorise, ainsi que la fatigue. En soi, la crise n'est pas dangereuse, mais le malade peut s'étouffer en ne maîtrisant pas sa langue.

Combien de gens sont touchés en France ?

En France, 500 000 personnes sont épileptiques à divers degrés. La forme la plus spectaculaire de l'épilepsie est l'épilepsie photosensible : le sujet réagit à des stimuli lumineux, souvent clignotants. L'exemple le plus classique est celui où le sujet roule sur une route de Provence bordée de platanes, le Soleil se couchant à l'horizon : le clignotement provoqué par la lumière du Soleil à travers les troncs d'arbre peut provoquer une crise (on perd conscience et contrôle pendant 15 secondes à 15 minutes) et est à l'origine de plusieurs accidents. Mais la photosensibilité ne touche que 1% des épileptiques. Il y a donc, en France, environ 5000 épileptiques photosensibles.

La France veut la mort des jeux vidéo

N'importe quoi peut déclencher une crise : les stroboscopes d'une boîte de nuit, certains clips à la télé, et même les génériques clignotants de M6, si on se colle sur l'écran alors qu'on est fatigué et qu'on vient de prendre des antibiotiques qui fatiguent encore plus.

Combien jouent aux jeux vidéo ?

Sur 5000 personnes (on peut supposer que ces 5000 sont réparties sur toutes les tranches d'âges et dans toutes les couches sociales), il y en a seulement un cinquième qui est susceptible de jouer à des jeux vidéo (puisqu'il y a 10 à 12 millions d'adeptes en France, sur une population de 57 millions d'habitants), donc 1000 personnes. Sur tous ces gens qui jouent aux jeux vidéo, combien en abusent, jouent plus de deux heures par jour et continuent à jouer lorsqu'ils sont fatigués ? Allez, soyons généreux, disons 5%. Il reste donc 50 personnes épileptiques qui peuvent être victimes de crises en jouant. De fait, selon les sources, on estime entre 10 et 30 les cas de crise épileptique dus aux jeux vidéo (en France, toujours). Et encore, je suis large, la Commission de Sécurité des Consommateurs n'estime qu'à 2000 à 4000 le nombre d'épileptiques photosensibles.

Comment un jeu déclenche-t-il l'épilepsie ?

Ah non, désolé, un jeu ne peut pas déclencher l'épilepsie. D'ailleurs, rien ne déclenche l'épilepsie. On est épileptique ou on ne l'est pas. C'est la crise d'épilepsie, qu'on déclenche. C'est un peu comme l'hémophilie : on ne devient pas hémophile en se coupant, on l'est depuis le début. En revanche, se couper peut être dangereux (l'hémophilie, c'est la maladie qui fait que le sang ne coagule pas, et donc ne forme pas de croûte lorsqu'on se coupe : les cicatrices ne se referment pas).

La crise épileptique peut être dangereuse : le sujet peut avaler sa langue, perdre la maîtrise de son véhicule s'il conduit, tomber sous le métro s'il l'attend sur un quai, etc. Quand on est chez soi, la crise est ennuyeuse mais pas très grave, sauf si le sujet à la malchance de tomber sur un objet dangereux, ou de tomber d'une chaise trop haute. Mais il peut être dangereux d'attendre un ascenseur sur un palier dont le néon clignote...

Quel rapport avec les ascenseurs ?

Les ascenseurs sont responsables, en moyenne, de trois morts par an en France (pas des épileptiques, des gens qui tombent dans le trou parce que la cabine n'est pas arrivée). Jusqu'à présent, les jeux vidéo n'ont jamais tué personne, pas même d'épileptiques photosensibles. Les ascenseurs sont donc plus dangereux que les jeux vidéo.

Quelle loi ?

Donc, ayant constaté ce qui précède, le gouvernement français a décidé de mettre en place une loi qui oblige à afficher sur les emballages de logiciels et de matériels de jeu une notice de mise en garde (assez longue, inutile de la reproduire ici, elle recommande simplement de jouer à bonne distance de l'écran et jamais pendant plus d'une heure d'un coup). Dans les cafés et les arcades aussi devra être affichée une mise en garde ("en caractères d'au moins 1 cm de haut", comme le précise cette loi).

La France veut la mort des jeux vidéo

Et alors ?

Et alors, très bien, on cherche à informer, parfait. Mais ce qui nous choque, c'est la disproportion des choses. Pour protéger d'une éventuelle crise une vingtaine de personnes, on va :
  • Débattre au parlement.
  • Constituer des commissions de sécurité du consommateur.
  • Mobiliser la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
  • Demander des rapports médicaux (qui confirment que les crises ne peuvent se déclencher que chez les patients prédisposés).
  • Faire voter une loi.
  • L'imprimer au journal officiel.
  • Obliger les fabricants de jeux et de matériels à apposer des autocollants ou à modifier leurs notices.
  • Obliger les magasins de jeux à fournir une notice de mise en garde pour chaque jeu vendu ne le comportant pas (parce que le jeu a été fabriqué avant le décret de loi, par exemple).
  • Obliger les patrons de café à acheter la pancarte de mise en garde.
  • Etc.
Oui, c'est hors de proportion. D'autant que, on vient de le dire, ça ne provoque que des crises, pas la mort. Et même, dans la moitié des cas (la moitié des 10 à 30 cas, soit 5 à 15 personnes en France), ça a servi à repérer les cas d'épilepsie qui n'étaient pas détectés jusqu'alors.

Comparons

Si on met en parallèle le danger encouru et les moyens mis en oeuvre pour le prévenir, que dire du défilé du 14 juillet ? On sait bien qu'un jour, quoi qu'il arrive, peut-être dans 20 ou 50 ans, peut-être l'an prochain, un des avions qui paradent au-dessus de Paris pour le défilé du 14 juillet va s'écraser. On a beau tout vérifier pendant les trois jours qui précèdent, on a beau resserrer les boulons, vérifier les fuites et faire tout ce qu'on voudra, les accidents d'avions, ça arrive, c'est la fatalité (Cf. la Suède récemment, et ce n'était pas un vieux coucou de la dernière guerre). Avec beaucoup de chance, il s'écrasera à 30 ou 40 kilomètres de Paris. Avec pas de chance, il va s'écraser sur les Champs-Élysées, balayer le gouvernement, exploser en arrivant sur le Louvre tout en ayant tué 200 000 personnes au passage. Scénario catastrophe, science-fiction ? Bien sûr, mais du genre qui arrive tout le temps.

On a là un drame potentiel, qui arrivera inéluctablement, et qu'il serait si facile de supprimer : ne pas faire défiler d'avions sur Paris le 14 juillet ! Alors que dire des moyens mis en oeuvre pour protéger 30 personnes ? On peut se demander si ce ne serait pas de la démagogie poussée à l'extrême.

Contrôle !

On peut aussi se demander si ce ne serait pas un moyen comme un autre, pour le gouvernement, de commencer à contrôler cet univers qui, décidément, prend beaucoup d'expansion. Tous les jeux d'argent sont taxés, du Loto aux flippers, mais pas celui-là. Quand vous achetez une disquette ou une cartouche, l'argent va à l'éditeur, à l'auteur, qui payent des impôts, certes, mais voyez-vous, l'état préfère toujours le prélèvement direct, un peu comme pour l'alcool, les cigarettes et les casinos. Un de ces quatre, les jeux vont prendre 30% de prix en plus, et vous ne pourrez rien faire.

Déjà, avec cette loi, les prix vont monter, parce que ça demande du boulot en plus. Il n'y a pas de secret. Comme ce n'est pas Tonton ou Chirac qui vont venir coller les notices sur les emballages, il faudra bien que quelqu'un paye. Mauvaise nouvelle : c'est vous.

Pourquoi vote-t-on une loi aussi ridicule ?

Parce qu'on (le gouvernement) a peur de la pression populaire. Or, il n'y a pas de pression populaire. S'il n'y avait pas eu d'articles dans les journaux, est-ce que vous auriez su que les jeux vidéo pouvaient causer une crise d'épilepsie ? Non. Ce n'est donc pas la pression populaire, mais la pression des journalistes. Et bien évidemment, pas ceux du Monde ; plutôt ceux des journaux à scandale, qui montent la moindre affaire en épingle pour provoquer une psychose dans l'opinion publique (car la psychose fait vendre).

La France veut la mort des jeux vidéo

On se souvient que peu après la sortie des "Dents De La Mer", aux États-Unis, un sondage avait révélé que la plus grande peur des Américains (à 87%) était d'être dévoré par un requin. Alors que 92% de la population n'était jamais allé au bord de la mer ! C'est ça, une psychose. Les parents vont apprendre qu'on peut "attraper l'épilepsie" en jouant aux jeux vidéo ; ils vont commencer à s'inquiéter de la chose, à acheter les journaux qui en parlent pour se renseigner (et hop, c'est gagné, pour les journalistes. Ils ont vendu leur canard en créant la psychose. Mais attendez, parce qu'il va falloir qu'ils vendent les suivants, vous allez voir comment). Dans les journaux en question, ils lisent "on peut attraper l'épilepsie en jouant aux jeux vidéo, on ne sait pas qui peut l'avoir, et ça peut provoquer la mort". Le conditionnel est habile : il va falloir se renseigner pour savoir si, concrètement, ça la provoque ou pas.

Et justement, dans le numéro suivant, on titre : "on a maintenant des précisions sur les gens qui sont susceptibles de mourir en jouant". Et hop, les parents rachètent. Bien joué, non ? Les journalistes sont décidément très intelligents. D'autant qu'à l'intérieur, ils expliquent que la réponse est : "personne". Ils se seraient bien gardés de le mettre en couverture. Cette psychose est donc créée de toutes pièces par les journalistes. Et le gouvernement, démago, s'y engouffre avec délectation. Pendant ce temps-là, personne ne discute du budget de l'armée.

L'accumulation des lois

Voilà un autre problème qui est à long terme et auquel on ne pense pas forcément. L'accumulation des lois conduit à un paradoxe : nul n'est censé ignorer la loi, mais concrètement, nul ne peut la connaître, parce que pour lire l'intégralité des textes de loi, il faudrait trois vies. Donc, on nage dans l'approximation. On connaît les principales, et on prie pour ne pas tomber sous le coup des secondaires. De fait, l'avantage, pour le gouvernement, c'est que tout individu est actuellement dans l'illégalité, ce qui permet un contrôle total de la population. Rien qu'en voiture, le nombre de lois qu'on ne connaît pas confine à la démence : vous portez des lunettes ? Parfait. Vous n'avez pas une deuxième paire de rechange ? Très bien, vous n'êtes pas en état de conduire, immobilisation du véhicule et pendant qu'on y est, une petite garde à vue. Vos plaques minéralogiques sont correctement vissées ? Perdu, elles devaient être rivetées. Immobilisation du véhicule, etc. Votre vignette est placée sous le rétroviseur intérieur ? Raté, elle doit être sur le côté inférieur droit du pare-brise. Pire encore : vous démarrez votre voiture, vous constatez que tous les phares fonctionnent. Vous commencez à rouler, une des ampoules claque pendant que vous roulez, vous vous faites arrêter : même si vous avez une ampoule de rechange et que vous proposez de la changer, on peut vous arrêter, immobiliser le véhicule, et vous infliger une amende. Ce sont ce qu'on appelle "les abus d'un état de droit".

Au lieu de se baser sur la simple logique, on va chercher des textes aberrants qui ont été conçus pour des cas très particuliers et on va les appliquer à tous. Vous ne voyez pas le rapport avec l'épilepsie et les jeux vidéo ? Très simple : les commissions médicales ont prouvé que la Game Boy ne pouvait pas causer de crise d'épilepsie. Et pourtant, comme ce sont des jeux vidéo, il faudra quand même y apposer la mise en garde. Un peu con, non ? Pire encore : seuls les téléviseurs provoquent ces crises. Pas les moniteurs haute fréquence. Il est évident qu'on va produire de plus en plus de moniteurs dont la fréquence de balayage est de 75 Hz, voire 100 Hz, et ceux-là ne provoquent pas non plus de crises (le balayage est trop rapide). Et quand il n'y aura plus du tout de téléviseurs actuels en circulation, dans dix ou quinze ans, qu'il n'y aura plus aucun risque de crise, on continuera à apposer la notice de mise en garde, en vertu d'une loi devenue obsolète.

Un jour, un éditeur sortira un jeu de rôle ou d'aventure politique (genre : la guerre du Golfe) dans lequel les gouvernants ne seront pas représentés très gentiment. Et le jeu sera interdit parce qu'il ne comporte pas la mise en garde contre l'épilepsie, ou parce qu'il y a une faute d'orthographe, ou pour n'importe quel autre prétexte aussi bidon qu'hypocrite.

On protège qui ?

Un autre aspect important : on protège, entre autres, les imbéciles. En effet, sur les trente personnes concernées, la moitié était déjà au courant de leur épilepsie. Si ces gens continuent à jouer trop près de l'écran et trop longtemps alors qu'ils sont fatigués, désolé, ce sont des imbéciles. Est-ce qu'il viendrait à l'idée d'un myope de lire volontairement, plusieurs heures par jour, à la lueur d'une bougie, pour aggraver son mal ? Un arthritique fait-il du jogging ? Un asthmatique va-t-il se délecter dans des cafés enfumés des heures durant ? Malheureusement, la réponse est oui, parce qu'il y a des imbéciles partout. Mais franchement, quand on voit un asthmatique qui vient volontairement dans un café enfumé et qui en sort en toussant, on ne le plaint pas. On lui dit : "Mais t'es con, aussi, quelle idée de venir ici !".

Attention (pour les associations de mères de famille ou je ne sais quoi, qui adorent se plaindre à tout bout de champ) : je n'ai pas dit que les épileptiques étaient des imbéciles. J'ai bien dit que, parmi les épileptiques, ceux qui connaissent leur maladie et leurs faiblesses et prennent des risques démesurés tout de même, sont des imbéciles. Si vous écrivez pour vous plaindre, c'est que vous en faites partie (vous ou vos enfants).

Ce n'est pas la première fois qu'on protège les imbéciles. La loi sur la normalisation des préservatifs est significative, à cet égard. Le truc, c'est qu'on a décidé que tous les préservatifs devaient avoir la même taille. Or, on sait (on le sait scientifiquement, médicalement) que la taille d'un sexe masculin en érection va de 7 centimètres à 35 centimètres. Bien sûr, les extrêmes sont rares, et la moyenne est de 15 centimètres. Alors, pourquoi ne pas faire trois tailles, comme pour les tee-shirts ? Parce que les gens peu dotés par la nature auraient honte de demander la petite taille ; de plus, certains d'entre eux, pour éviter cette honte, seraient capables de prendre une taille trop grande pour eux, quitte à perdre le préservatif en cours de route (ce qui est dangereux, puisque le risque de contamination reste alors entier). Donc, on ne fait qu'une taille, pour éviter que ces imbéciles ne friment en choisissant la mauvaise taille. Mais le problème, c'est qu'il y a aussi des gens qui ont un pénis de 20, 25, jusqu'à 35 centimètres ! Et pour eux, pas question de mettre un préservatif dont la longueur totale est de 170 mm (normes européennes), et la largeur de toute façon insuffisante (je ne me souviens plus des chiffres exacts). Donc, pour protéger les vantards, on désavantage les gens qui ont un gros sexe, qui sont condamnés à faire l'amour sans préservatif, donc à prendre des risques, donc à propager l'épidémie.

Quand un coureur automobile, victime d'un accident, meurt, on dit que ce n'est pas de chance, qu'il avait du courage et que c'est la fatalité. Il ne viendrait à personne l'idée d'interdire la compétition automobile à chaque accident. Parce que le coureur était au courant des risques qu'il prenait, qu'il les acceptait. Si un épileptique connaît sa maladie et court des risques quand même, et qu'il a une crise, bon, pas de chance. Mais ça ne vaut pas le coup de faire une loi qui va coûter cher à tout le monde, d'autant que, encore une fois, on n'en meurt pas !

La France veut la mort des jeux vidéo

Ok, certains ont cité le cas de ce gamin anglais de quatre ans, dont la mère a déclaré qu'il était mort après avoir joué à un jeu Nintendo. L'affaire a été révélée par l'équivalent britannique de "France-Dimanche", et tous les journaux sérieux qui ont fait une enquête par la suite se sont aperçus que les faits étaient sans rapport. Mais on oublie, dans les comptes-rendus français, de dire que c'était un journal à scandale, et que l'affaire s'est révélée bidon !

Démagogie et court terme

En résumé, cette mesure n'est que démagogique. Elle n'empêchera pas les crises de ceux qui s'obstinent à jouer des heures alors qu'ils se savent épileptiques photosensibles (à propos, l'épilepsie se soigne très bien, par le biais de barbituriques et d'hydantoïnes...). Elle se contente de provoquer un petit remous dans l'opinion publique, qui permet d'oublier un moment qu'il y a des choses plus graves dont le gouvernement devrait s'occuper prioritairement. En plus, je me demande dans quelle mesure le gouvernement n'a pas perdu un peu son rôle de vue : il y a quand même une différence entre la mise en garde contre le tabac (qui provoque une dépendance physique) et contre les jeux vidéo (qui ne provoquent rien du tout). Autant le tabac est un produit reconnu toxique mais très répandu, auquel cas le gouvernement a raison de mettre en garde contre ses dangers, autant les jeux vidéo ne présentent aucun danger de ce type. C'est un peu comme si on mettait sur les bouteilles d'eau minérale : "attention, boire plus de 50 litres d'eau par jour est néfaste pour la santé".

En gros, le parlement vient de ratifier une loi qui consiste à dire "attention, l'abus de toute chose est dangereux". Ce qui est un peu redondant, pour ne pas dire pléonastique, puisque la définition d'abus est : "usage mauvais, excessif". Donc, nos gentils politiciens nous disent que "l'usage mauvais est mauvais", et nous recommandent - que dis-je, nous obligent ! -, par le biais d'une loi, à le faire savoir à la ronde. Le rôle du gouvernement est de définir les libertés individuelles et de préserver la vie de chacun. Mais cette loi ne définit aucune liberté, et ne préserve aucune vie, puisque, a) les jeux vidéo n'ont jamais tué personne, b) ceux qui ne savent pas qu'ils sont épileptiques (les 15 personnes citées plus haut qui ne sont pas des imbéciles) continueront à jouer en se disant "ça ne me concerne pas, je ne suis pas épileptique", et c) les 15 autres qui eux sont des imbéciles continueront à l'être, même si on leur marquait dans le ciel en lettres de feu "arrêtez d'être des imbéciles".

La race humaine est ainsi faite que certains de ces membres sont portés vers l'excès - l'un mange trop, l'autre fume trop, un autre boit trop, un autre encore joue trop aux jeux vidéo, un autre prend des risques insensés (les cascadeurs, par exemple), un autre croira tellement en Dieu qu'il ira tuer ceux qui n'y croient pas... Ce n'est pas à coups de loi que l'on résoudra ce problème. C'est, comme disait Victor Hugo, en "éclairant les ténèbres", en éduquant ceux qui n'ont pas d'éducation, en expliquant dès l'école les dangers de l'épilepsie, de la drogue, de la religion, du pouvoir...

Et pas en l'expliquant de façon mièvre, comme on le fait de nos jours (où, pour avertir des dangers du sida, on se contente de montrer un couple en noir et blanc qui marche sur une plage, avec un slogan du genre "les préservatifs, c'est drôlement chouette"), mais en montrant les tissus nerveux qui se délitent, les malades qui crèvent, leur maigreur, l'esprit qui s'en va peu à peu, en donnant des chiffres : parmi les gens que vous connaissez, un sur dix sera mort dans dix ans. C'est peut-être quelqu'un que vous n'aimez pas, mais c'est peut-être votre meilleur ami. Ou vous. Voilà une application enfin utile de la morphose : un avant-après. Là, je n'ai pas le sida, et là, je l'ai. Pareil avec le tabac et l'alcool. Une petite morphose entre Gainsbourg et Schwarzenegger, au même âge. Slogan : choisissez à quoi vous voulez ressembler. Bien sûr, c'est dur, cruel, insoutenable, cynique. Mais ça ne le sera jamais autant que la maladie, jamais.

En bref, le gouvernement, au lieu de voter cette loi aussi stupide qu'inutile, aurait mieux fait de faire passer un décret obligeant les fabricants de téléviseurs à passer à une fréquence minimum de 75 Hz tous les appareils d'ici cinq ans. Ça, c'est faisable, et ce serait utile, parce que ça supprimerait - pour de bon - les crises d'épilepsie, ainsi que la fatigue induite par l'exposition trop prolongée à un écran. Mais voilà : le gouvernement ne sait pas ce qu'est une fréquence de balayage. Le gouvernement statue sur des choses qu'il ne connaît pas. Et naturellement, il se trompe, et plutôt que de reconnaître son incapacité, la masque par des artifices. Mais pourquoi se gênerait-il, puisque personne ne réagit, que beaucoup de gens se déclarent satisfait de cette loi qui "permettra d'éviter tous les morts causés par les jeux vidéo" ? Puisque personne ne va au fond des choses et n'essaye de savoir la vérité ?

Décidément, le gouvernement n'éclairera jamais les ténèbres. C'est aux ténèbres de s'éclairer elles-mêmes, de se prendre en charge. N'acceptez pas les contre-vérités qu'on vous assène, vérifiez vous-mêmes. Ce n'est pas très dur : il suffit de consulter quelques dictionnaires et quelques ouvrages médicaux simples dans des bibliothèques gratuites. Tout est à portée de main, tout vous est offert. Ne négligez pas ce cadeau. Vous ferez plus contre l'épilepsie en consultant quelques livres plutôt qu'en votant pour un député qui va noyer le poisson pour masquer sa méconnaissance des faits.


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